J’ai trouvé
qu’il était inévitable – face aux circonstances injustes – de m’éloigner des
regards, de peur pour la bannière et par souci de voir le message poursuivre
son chemin à travers ses canalisations humaines bien préparées et rodées, et à
travers leurs nouvelles méthodes. Ceci m’a obligé à calmer mon activité et à
garder secrets mes pensées et mes plans, et à les confier à ceux que
j’ai choisis et délégués à cet effet, parmi l’élite des croyants et des
citoyens.
![]() |
la couverture du livre (le jour du jugement) |
Je n’ai jamais
ignoré un seul instant, que le sacrifice de la réputation et le renoncement à
la citation et aux compliments,[1] avait le mérite après Dieu
d’approvisionner ma cause en hommes et en bons éléments, et de conduire à la
réalisation de mes objectifs.
Comme
d’habitude, je me suis levé un matin, à l’aube, je suis sorti parmi les gens,
étudiant leur situation, écoutant leurs nouvelles, examinant ce qui les influence
et ce qui les fait bouger, et après une longue marche et pas mal de fatigue, je
suis arrivé à la maison de la Culture et je suis allé droit vers la salle de
lecture. Après avoir pris un peu de repos, je me suis mis à regarder les livres
sur les étagères à la recherche d’un livre. Soudain, j’ai vu, tout près de moi,
à gauche, une jeune femme étrangère. Je l’ai regardée et j’ai vu sur son visage
un certain embarras et dans ses yeux une question profonde. Un salut est alors
parti en français accompagné d’un sourire suivi d’un éloignement affecté, à la
recherche d’un livre qui lui donne satisfaction. Elle passait en revue les titres,
elle examinait les têtes de chapitres, puis elle revenait avec peu d’espoir et
beaucoup de tension et de réaction. Prise d’ennui, elle a tourné son regard
vers moi et elle s’est aperçue que je l’observais, que je la suivais des yeux.
Elle m’a alors envoyé un sourire dont le côté extérieur était un salut et le
côté intérieur, un appel au secours. J’ai réagi avec beaucoup de calme afin
d’éviter la suspicion et la mauvaise interprétation. Elle s’est alors approchée
de moi sûre d’elle-même et elle s’est présentée en français : Je m’appelle
Tania, je suis autrichienne et je réside dans votre pays depuis près de deux
ans. Je suis la fille du Consul Général et je prépare une thèse de doctorat sur
la philosophie islamique… Elle s’est aperçue qu’elle parlait alors que j’étais
absent – ou c’est ainsi que les choses lui ont paru – et elle a demandé :
Connaissez-vous l’anglais ? Je lui ai répondu après un silence qui l’a
rendue perplexe, et en bon français : Poursuivez votre discours
mademoiselle la chercheuse autrichienne.
Elle a alors
exprimé son étonnement et son admiration et elle a dit, dans un arabe
faible : Al-Hamdulillah.
Je me suis
présenté avec mon sobriquet sans plus. Elle fut encore étonnée de ma réponse
brève et de mon attitude ; je l’ai alors invitée à aller nous installer
dans un coin éloigné et calme de la salle, afin de répondre à ses questions,
dans l’espoir de voir dans mon invite, ce qu’elle recherche et qu’elle n’a pas
trouvé. J’ai vu qu’elle avait tendance à s’asseoir à côté de moi, voire à coller
contre moi, pensant que ce serait utile pour le dialogue et les explications,
ou peut-être est-ce une habitude de chez eux. Il y a des situations qui
plaisent aux uns et qui ne veulent rien dire pour les autres. Quoi qu’il en
soit, la Loi de Dieu, le Dieu de nous tous, est celle qu’il faut respecter en
premier. C’est pourquoi, je lui ai demandé de s’asseoir en face de moi, de
l’autre côté de la table. Je l’ai regardée avec le sourire et quand j’ai vu
qu’elle n’a pas réagi, j’ai compris que son but était bien la recherche et rien
d’autre.
Elle a commencé
avec une question : Il semble que vous avez une haute connaissance de la
philosophie et une technique spéciale dans le choix des références qui vous
conduisent rapidement au but. Est-ce que vous allez me faciliter la tâche et me
permettre de profiter de cette occasion pour obtenir un peu de ce que je
recherche…
Elle a voulu
continuer lorsque la sonnerie de son téléphone portable lui a porté des
nouvelles qui ont dû interrompre la rencontre.
Elle m’a jeté un
regard chaleureux et elle a dit avec regret : Excusez-moi, j’ai un devoir
urgent, si vous permettez ? Elle n’a pas entendu ma réponse, non pas parce
qu’elle n’a pas voulu mais parce que j’ai répondu par un signe de la tête et de
la main.
J’ai passé la nuit
de ce jour-là avec ma pensée touchant à la fois des choses diverses parmi
lesquelles s’était introduite une chose d’un type étrange qui, chaque fois que
je la repoussais, revenait de plus fort. Je suis sorti le lendemain comme
d’habitude et j’ai marché parmi les gens, lisant et examinant, étudiant leur
situation avec, dans le cœur, un dessein qui me colle et qui m’appelle ;
et chaque fois que je m’en suis détourné, il est revenu plus fort. J’ai trouvé
alors inévitable d’en éviter le feu et de le suivre. J’ai donc décidé de passer
par la Maison de la Culture, à la même heure, et je suis entré pour me
tenir devant les étagères, faisant semblant de chercher, et Dieu sait qu’est-ce
que je cherchais au juste et qui je cherchais. Lorsque j’envoyais un regard vers
les livres, de nombreux autres partaient ailleurs, et les choses ont duré ainsi
jusqu’au moment où je l’ai vue entrer par une porte proche, ses regards se
déplaçant, et il m’a paru que son état ressemblait au mien.
J’ai fait alors
semblant de scruter du regard un manuscrit, puis je me suis dirigé vers elle.
En m’apercevant, elle a crié : monsieur Sabiluddine, quelle belle coïncidence ;
quel bon vent nous réunit. Elle s’est tue un instant avant de poursuivre en
arabe, la main sur la poitrine – à la façon du salut islamique entre un homme
et une femme – Salam Alaikom. J’ai répondu à son salut avec, dans mon cœur, une
joie plus grande que la sienne. Elle m’a demandé ce que je lui conseille comme
références au sujet de son thème de recherche, comme si elle voulait en ce
faisant, arrêter d’autres questions qui s’accumulaient en marge de cette coïncidence
arrangée. Je passais en revue les titres, je retournais les noms, devant son
étonnement et ses compliments. Lorsque ma patience devint à bout, j’ai vu qu’elle
était tout à fait perplexe et qu’elle avait hâte de chercher. Je lui ai dit
d’une voix chaleureuse : Je ne crois pas que vous êtes capable de prendre
tous ces titres en même temps, et je ne crois pas qu’ils portent tout ce que
vous désirez. Il semble que vous n’ayez pas beaucoup de temps pour atteindre
votre but. Je le regrette beaucoup pour vous…
J’ai levé la
main pour saluer et j’ai fait quelques pas pour prendre ma place lorsque son
appel m’a arrêté, et qu’une main douce a touché mon épaule et m’a fait se
retourner. Sa chaleur a circulé dans mon être. Je l’ai regardée et je l’ai vue
toute autre, avec une autre image. J’étais perplexe ne sachant pas d’où la
magie lui est venue, ou était-ce mon penchant et mes désirs. C’est ainsi qu’en
la regardant, je voyais un oasis vert, un beau jardin, une faveur, un désir,
sans savoir ce que ses yeux voient en moi. Ce que je n’ignorais pas, par
contre, c’était la ressemblance de son aspect extérieur et du mien. Quelle que
soit la raison, je ne voyais plus en elle cette belle autrichienne perdue dans
les recherches entre les références et les livres de philosophie.
Je suis sorti du
silence sérieux et je l’ai vue en train de chercher une issue qui a affaibli sa
détermination, car chaque fois qu’elle a voulu le rompre, il lui a semblé que
le silence est plus utile. Et chaque fois que j’étais sur le point de lui poser
une question, j’ai été retenu par l’espoir de l’examiner davantage et de rester
à ses côtés dans un silence majestueux que le Très Haut a voulu comme un silence
qui dépasse l’imagination, entre le rêve et l’attention.
Elle a dit d’une
voix basse : Allez-vous m’aider à atteindre mon but… elle s’est tue un
instant avant de poursuivre : Je vous trouve un homme fier et honorable.
Je me suis mis à promener mon regard sur son visage charmant, lisant ses
traits ; j’ai bougé ma tête, puis j’ai détourné mon regard, pour me
remettre de nouveau à regarder son visage. Nos regards et nos yeux se sont
alors fixés, et j’ai vu dans ses yeux des jardins de rêves divers, puis une mer
sans horizons ni rivage, mais je n’ai pas réussi à savoir ce qu’elle a pensé de
mes pérégrinations. Elle avait, en regardant mes yeux, été prise par un fort
sentiment de respect ; elle avait la chair de poule qui l’a empêché
d’aller à un endroit lointain, là où les blessures sont apparentes comme les
lances qui approchent, là où il y a les gémissements, les causes et les
problèmes des peuples arabes et islamiques, et les histoires de la Palestine et
de l’Iraq.
Je me suis
détourné d’elle pour me diriger dans la salle en lui faisant signe de me
suivre. Elle s’est exécutée. Nous nous sommes assis en un coin éloigné et je
lui ai dit : Posez les questions que vous voulez et je prie Dieu, le Très
Haut, d’être, grâce à sa lumière et à sa bonté, en mesure de vous donner
satisfaction, même incomplète.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire