mercredi 31 juillet 2013

Dans le Cœur du Sujet


          Les relations avec Madame Aurore devinrent plus profondes et chacun de nous se préparait à exprimer ce qui lui passait par la tête en craignant l’explication franche et sincère au sujet de ce qu’il ressent dans son for intérieur. La sympathie que nous ressentions l’un pour l’autre et l’envie de se rencontrer étaient devenus des choses difficiles à repousser ou à arrêter. Pour ma part, je ressentais une forte envie de rester à ses côtés, et j’ai même souhaité être très proche d’elle.

          Nos rencontres se répétèrent et leurs moments et leurs endroits se multiplièrent jusqu’au jour – un jour férié officiel – dont elle profita pour me rendre visite à la tête d’un groupe d’étudiants et de collègues dont elle a pris prétexte pour un dessein qui ne les concerne pas, même s’ils eurent l’occasion de suivre un dialogue avec moi, et une rencontre sur les rivages des lettres et de la philosophie.

          C’est ainsi qu’un colloque eut lieu, grâce à Dieu, et quel colloque. Madame Aurore ouvrit le débat en me posant une question au sujet du doute et de l’épreuve de la connaissance, sans oublier d’accompagner ses paroles d’un cachet spécial de sourire et d’amabilité à travers les yeux tantôt et tantôt à travers les mots doux.

          J’ai répondu aussitôt: La crise du doute est le résultat d’une maladie cognitive, une honte perceptive, un manque flagrant de capacité et de lumière, un défaut sérieux de connaissance au sujet de l’apparition des choses et des facteurs qui poussent à leur existence.

          Ce problème est la mère de toutes les activités intellectuelles qui émanent des tentatives, du conscient au moyen des recherches sur la réalité de l’existence, et sur les suppositions possibles de la manière de son apparition. Du sein de cette réalité, la philosophie est sortie à la lumière, chancelante et titubante.

          Comme le Créateur est un être unique, le Dieu des mondes a décrété que la connaissance[1] ne doit avoir lieu que par la voie de Son inspiration et de Sa révélation.

          La révélation est l’inspiration de la Vérité finale, le signe de la miséricorde divine, l’aspect de l’attention divine. Elle est l’une des nécessités des relations existant entre l’être et celui qui l’a fait… Sans la révélation, l’aveuglement se serait répandu, l’égarement et la peur auraient régné et la corruption se serait étendue.

          Rien ne détourne de la mission, ou de la séparation entre le conscient et la lumière du conscient, que la perplexité, la peur, le doute, le désespoir, la mélancolie, la frustration, le découragement et la mauvaise foi[2]. Ce sont là les qualités du futile, qui le montrent, ses symptômes évidents et ses facteurs réprouvés. C’est pourquoi, la révélation a été une miséricorde pour les mondes par l’effet du commencement de chaque Sourate par le Nom de Dieu le Miséricordieux, le Clément.

          J’ajouterais qu’il n’y avait pas de place pour le doute dans l’esprit lorsque la disposition naturelle était au sommet de sa force et de son activité, de sa santé et de ses effets… De même, il n’y avait pas de place pour la mauvaise foi, le désespoir, l’envie pressante ou les lubies malsaines.

          Ce jour-là,  les gens étaient une seule communauté[3].  L’humanité a sauvegardé son unité jusqu’au jour où la corruption est réapparue et qu’elle a constitué en ce faisant une apparition insolente à laquelle l’esprit n’était pas habitué. Lorsque ce facteur s’est installé et qu’il s’est mélangé à ses habitudes et à ses qualités et qu’il s’est collationné avec ses traits[4] et ses mouvements, il a produit dans l’esprit le trouble et l’inquiétude; il l’a détourné vers le mal, vers la perversion et la vanité. L’esprit est ainsi devenu perplexe au tournant des chemins, hésitant au tournant des choses, appréhensif devant l’incompatibilité des choses, peureux et dans l’expectative, lorsque la rectitude dont il a été doté à ses débuts de la part de son Dieu a trouvé son contraire et un ennemi juré qui s’oppose à elle partout.

          C’est de là que le doute est parti, que la mauvaise foi a hurlé, que la peur et la tristesse ont apparu, que les gens sont devenus, après l’union, des factions qui se disputent.

          Le dessein de la religion, en tant que miséricorde accordée par le Créateur, le Très Haut, à toutes les créatures, se focalise sur le point de faire resurgir cette disposition naturelle en la purifiant de ce qu’elle a subi, de la libérer de ses défauts, de la soigner de tout ce qu’elle a enduré comme déchirures, désintégration et égarement. Sur cette base est venu l’appel à Dieu, le Majestueux, via une vocation purifiée visant à libérer l’esprit des obstacles qui barrent la voie à sa rectitude[5] et pour la sauver des calamités qui la font dévier et désespérer, afin qu’il revienne à son image originelle et à sa nature essentielle, et afin qu’il revienne satisfait à son parcours premier, pour accompagner la tendance universelle qui pousse toutes les choses qui existent dans leur soumission à Dieu, leur rectitude vis-à-vis de Sa grandeur et de Sa volonté, leur louange de Dieu et Sa sacralisation.

          «Dis: Ô vous les ignorants ! Allez-vous m’ordonner d’adorer un autre que Dieu» (Les Groupes, 64). 

          S’agissant de Dieu, loué soit Son nom, la transcendance du Très Haut n’est pas un éloignement et une rupture avec les créatures, mais une transcendance loin de la connaissance et des débats des gens.

          Le professeur de psychologie m’adressa une question pertinente: Le goût de la mort est-il le même pour tous ceux qui le goûtent, ou a-t-il des goûts et des saveurs différents.

          J’ai répondu: La mort est la même quand elle se produit et la même quand il s’agit des facteurs qui la réalisent ainsi que des facteurs qui dominent dans son monde. Mais la mort n’a pas le même goût et la même saveur. Car tandis qu’elle est suave pour certains, elle est une coloquinte et un chagrin pour d’autres[6].

          La mort a, pour celui qui l’a vécue avant de la rencontrer, un goût et une saveur différents, sans doute, par rapport à celui qui a vécu sans s’en soucier, sans en comprendre le sens, et sans s’y préparer.

          Le rappel de la mort diminue les angoisses et son oubli augmente les détresses et les douleurs.

          La mort est la question qui, lorsqu’on y pense, éclaircit les vérités de l’univers ainsi que les secrets de l’existence.

          C’est la question des Signes de laquelle Dieu a détourné les incrédules, les insoumis, les extravagants. Il a réservé Ses bénédictions aux dévots, aux justes qu’aucun commerce et qu’aucune vente ne détourne du Rappel de Dieu. «Écarte-toi donc de celui qui tourne le dos à notre Rappel et qui ne désire que la vie de ce monde. Voilà toute l’étendue de leur science ! Oui, ton Seigneur connaît parfaitement celui qui s’égare hors de son chemin et il connaît celui qui est bien dirigé» (L’Étoile, 29-30). 

          Il semble que la réponse n’a pas convaincu le professeur, et il a gardé à l’esprit quelques doutes. Il a demandé quel serait le cas si la question de la mort était autrement que ce que j’ai démontré et ce que j’ai dit. Je n’ignorais pas ce qui l’a diverti. Cet homme était connu, en effet, pour chercher toujours les discussions, les controverses dans les idées et les paroles; il a eu les symptômes du désarroi et du doute.

          J’ai répondu avec fermeté: Si l’état de la mort n’est pas ainsi, il y a de fortes chances qu’il le soit[7].

          Y-at-il une autre possibilité valable? Est-il possible qu’il y ait, dans la religion de la logique, deux possibilités pour une seule vérité?

          Puis comparons entre la possibilité hypothétique et la possibilité qui est un être et une vérité pour voir laquelle de ces deux possibilités est conforme à l’état de l’univers en tant que témoin et exemple.

          J’ai poursuivi jusqu’au moment où le professeur cessa de s’accrocher à son point de vue.

          Le professeur de l’éducation a demandé, à son tour, quel était le sort des insouciants qui se sont intéressés à des choses qui les ont détournés de la recherche de la vérité et du droit chemin.

          J’ai répondu: Le Miséricordieux a qualifié ceux qui lui ont désobéi, qui se sont opposés à Sa loi (Sunna), d’insouciants. Il les a maudits; Il les a avertis qu’ils auraient à subir les conséquences car ils ont reçu la guidance nécessaire, qu’ils ont reçu les bienfaits qui rendent responsable et qui démontrent la Vérité à celui qui le désire. Le conscient n’est là que pour distinguer entre le bien et son contraire, la vérité et son opposé, la justice et ce qui s’y oppose, et l’Islam et ce qui le contrarie.

          Si le serviteur avait les moyens de diriger l’attribut du conscient vers son dessein et ce pour quoi il a été créé, il n’y aurait pas eu de déviation par rapport au droit chemin et nul n’aurait quitté la voie de la rectitude et de la religion éternelle.

          La condition la plus importante que l’esprit impose à l’homme raisonnable est de chercher le droit chemin pour arriver à la vérité. Il connaîtra alors la vérité de l’âme et son dessein, son origine et sa fonction, son essence et son message afin d’éviter l’insouciance et la faute, par son attachement à la Sunna et à la disposition naturelle.

          Un étudiant s’est alors présenté que j’avais l’habitude de voir et de rencontrer à plusieurs reprises tellement il était attaché à la religion et au rappel de la mort. Il m’a demandé avec des mots accompagnés d’un flot de larmes qu’il était incapable de retenir avec ses mains, les laissant, malgré lui s’emparer de son visage et de ses joues: Ma sœur unique nous a laissés il y a environ deux mois, et il y avait entre elle et moi une grande amitié et une intimité de sorte qu’il nous était insupportable d’être séparés un seul jour. Pensez-vous qu’elle souffre maintenant dans son monde en raison de notre séparation et de son éloignement?

          Le mort ne souffre pas quand il souffre après une séparation, et ne souffre pas en raison du désir ardent[8]. Celui qui sort d’un rêve ne souffre pas suite à la séparation d’avec ceux qui étaient avec lui, et l’éloignement ne le fait pas souffrir, ni son départ vers un autre monde que le leur, et la nostalgie ne chauffe pas son cœur. Il a quitté les siens vers quelque chose de mieux pour lui[9]

          Je me suis adressé à l’étudiant excité en l’avertissant: N’as-tu jamais senti une fois la peur ou la maladie alors que tu te trouvais parmi les tiens, alors que leurs sentiments ne servaient pas à assurer ta sécurité, et que leur réunion ne donnait pas satisfaction au repos de ton âme. Le souci de l’homme dans son monde est l’état où il se trouve, et son souci dans son travail est d’améliorer son état en obéissant à son Dieu et en cessant de pêcher.

          Le premier des étudiants et président de leur fédération se leva pour poser une question comme s’il voulait anticiper la réponse, plein d’entrain et d’enthousiasme: N’y-a-t-il pas un signe pour les justes qui les distingue afin de suivre leur exemple et de suivre leurs traces, afin qu’ils soient pour nous un repère clair et un guide. Car les hommes nous paraissent semblables et leur vérité nous a été occultée.

          J’ai répondu que le Musulman qui est bon pour la vie future est également bon pour la vie ici-bas… et n’est bon pour instaurer la vie ici-bas, pour la bâtir et la gérer, pour diriger ses affaires, que celui qui a eu la faveur d’être valable pour la vie future, qui l’a recherchée et qui s’y est préparé. C’est là notre concept islamique de la probité pour celui qui veut s’enquérir et méditer.

          Celui qui est juste parmi les Musulmans est celui qui est bon pour la vie future comme il l’est ici-bas. S’il perd sa probité ici-bas, ce sera un défaut par rapport à sa vie future, une entorse à sa religion, une perte de sa valeur, une faiblesse de sa doctrine, une défaillance dans sa détermination et une imperfection dans sa mission et la bonne issue est pour les pieux. 



[1] La connaissance qui tranquillise l’esprit et le cœur, qui donne la satisfaction, le contentement et la stabilité et qui instaure la quiétude et la sérénité.
[2] Voyez comment les gens du monde qui le dominent et qui décident de son sort, ne peuvent en rien se passer de Dieu. Vous les voyez alors désespérant, frustrés, saisis de peur, déchirés par le désarroi et n’hésitant pas à se suicider.
[3] «Les hommes formaient une seule communauté. Dieu a envoyé les Prophètes pour leur apporter la bonne nouvelle et les avertir» (La Vache, 213). C’est à dire qu’ils suivaient l’intuition et la révélation n’a eu lieu que lorsqu’ils ont dévié.
[4] «Vas-tu établir quelqu’un qui fera le mal et qui répandra le sang, tandis que nous célébrons tes louanges en te glorifiant et que nous proclamons ta sainteté?» (La Vache, 30).
[5] «Dieu a créé les cieux et la terre en toute vérité. Il y a vraiment là des Signes pour les croyants» (L’Araignée, 44). La vérité ici, c’est la rectitude.
[6] Le Très Haut a dit: «Traiterons-nous ceux qui sont soumis à Dieu de la même manière que les criminels?» (Le Calame, 35). C’est à dire que la catégorie qui a passé sa vie à s’adresser à Dieu, à être loyale envers Lui, soumise à son Créateur, vivra la mort d’une manière autre que celle que vivra la catégorie qui a vécu dans les excès, l’injustice, la corruption, le mal et l’entêtement. La criminalité est la dépendance à l’égard de l’incrédulité, de la rébellion et de la perversion. Et celui qui le fait sera châtié.
[7] Dans la réponse, il y a une indication que l’état de la mort tel qu’il a été décrit et démontré est soutenu par les paroles de l’inspiration, par la réalité de la vie, par l’expérience de l’esprit et la nature de la souffrance, et avec comme témoins, tout ce qui existe sur terre. Aucun esprit résistant ne possède cette possibilité. L’incrédule entêté n’a pas de preuve ni une autre alternative.
[8] La souffrance de la séparation a lieu aux premières heures du décès seulement; et ce sont des heures pleines de la peur de la rencontre de celui qui vient tout seul, et qui fait face aux choses sans armes.
[9] Par référence à l’état du défunt après l’enterrement, lorsque s’ouvre devant l’âme un long tunnel interminable qui s’étend de la tombe jusqu’à l’isthme, et ce dernier est un des jardins du Paradis ou un des trous du Feu. Le Messager de Dieu a dit: «La tombe est un des jardins du Paradis ou un des trous du feu».

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