Des Douleurs et des Rêves
Un rêve douloureux m’a
poursuivi trois nuits de suite sans modification quelconque de son image, de
son contenu ou de sa signification. Il m’est apparu, à chaque fois, amer et effroyable,
ce qui m’a fatigué, qui m’a empêché de fermer les yeux, qui m’a troublé les
idées. Il a continué à me faire peur, disposant des changements de mon état
jusqu’au moment où j’ai imploré la grâce de Dieu pour m’en débarrasser. Je ne
me suis pas arrêté là. J’ai décidé de faire face à une situation ardue et je me
suis préparé à la rencontre de la conclusion et du destin. La répétition à
trois reprises du rêve n’était pas plus qu’un avertissement ferme mais qui
n’évite point le danger imminent. Mais ma connaissance de l’éternité du Très
Haut, de Son attention, de Sa grâce et de Ses soins, m’a donné suffisamment de
tranquillité pour supporter la douleur qui arrive ou son changement d’un cas
inéluctable en un cas possible, laissant au Très Haut le soin de décider de le
garder ou de l’effacer. Car Lui seul dans tout l’univers peut décider et juger[1].
Je
n’avais pas peur pour mon âme, je craignais plutôt que la mort n’arrive avant
d’avoir rempli ma mission et d’avoir exposé la vérité… Je craignais la fin
avant d’avoir réalisé mon souhait, celui de rassembler les peuples autour du
droit chemin de l’Islam.
J’ai
vu dans mon rêve le corps de ma mère à l’horizon lointain, m’ignorant, puis se
retournant et accourant à toute vitesse vers moi et lorsque le corps fut sur le
point de me toucher et de se coller à moi, il commença à me montrer à quel
point je lui manquais, puis il dit d’une voix attristée accompagnée de soupirs:
Deux
coups sur la tête, mon fils, l’un mortel et l’autre très douloureux; l’un pour
toi et l’autre pour Kifah. La mère s’est alors retirée tout en me fixant des
yeux pour disparaître ensuite à l’horizon. Je me suis réveillé tout effrayé,
mon cœur et mon esprit pleins de soucis. Il en fut ainsi toute la journée que
je vécus sans repos.
J’étais,
malgré la folie de la nuit et de l’épaisseur de l’obscurité, sans sommeil, inquiet
jusqu’à une heure très avancée de l’après minuit. Le sommeil finit par
l’emporter et je me suis trouvé, de nouveau devant le rêve. C’était comme si ma
visite lui a plu et qu’il cherchait à me provoquer. J’ai vu une deuxième fois
ce que j’ai vu au début et je me suis réveillé dans le même état. J’ai senti
une douleur et une tristesse doubles. Ma crainte s’est confirmée, mes
circonstances se sont assombries et j’étais tout près de la catastrophe. La
nuit tomba une troisième fois. Je suis tombé dans un sommeil profond après une longue
insomnie. J’ai alors rencontré le même rêve, sans modification aucune. Je me
suis mis à dire «Dieu est le plus grand», envahi par la peur. Ce rêve m’a abasourdi
et je ne savais plus comment l’arrêter et comment l’écarter. J’ai perdu ma
boussole et je ne savais plus où me réfugier, comme s’il s’était agi d’une
décision ferme et d’un sort inéluctable.
J’avais
la conviction que cette situation était la compagne de mon jour et de ma nuit,
qu’elle ne me quitterait que lorsque sera réalisé ce qui se passe la nuit et
que je reçoive le jour ce que je reçois la nuit.
La Fuite vers le Destin
Ce rêve s’est accroché à
mon esprit; il a établi son règne en mon être. Il m’a écarté de certaines de
mes habitudes et il m’a distrait de beaucoup de me aspirations. Il m’a poussé à
me préparer à rendre compte, à la discussion et à méditer au sujet de ce que je
serais après le départ. Je me suis mis alors à implorer Dieu le Très Haut pour
prolonger ma vie jusqu’à ce que je termine ma mission, que je remette en ordre
mes positions, et que je passe en revue mes opinions et mes sentiments. En
effet, le voyage est long et dur, les provisions modestes, et entreprendre ce
qui est possible est l’affaire des croyants et des justes, et le plan des
bienfaiteurs[2].
Aucune provision ne sert durant le voyage ni aucune action à moins qu’elles ne
bénéficient de la clémence de Dieu, de Sa générosité et de Sa charité[3].
Après
une belle journée que mon état m’a empêché d’en voir la clarté et que mes
soucis m’ont empêché d’en goûter la beauté, et pendant que j’étais en train de
revoir mon ego, mes actions et mes qualités et de contrôler mon cas vis-à-vis
de mon Dieu, j’ai eu l’idée de la visite de mon ami intime Kifah[4]. S’il le fait, les
éléments du rêve seraient réunis et ce que nous évitons et ce qui est
inévitable se réalisera. Je suis entré dans le jardin dans l’espoir d’y trouver
une sérénité mais en vain. Mon ami avait l’habitude de s’y rendre et de se
promener dans ses allées. J’ai décidé de continuer à marcher vers une région
éloignée où je ne vois personne et où personne ne me voit. Dans ma tête se
passait une guerre atroce qui a failli briser mon cerveau et mon âme. Je suis
devenu un déserteur vis-à-vis de ma mort qui vient malgré tout, et j’étais sur
le point de reprocher à ma conscience la lâcheté dont elle a fait preuve,
lorsque l’idée me vint qu’il s’agissait plutôt de la détermination à accomplir
la mission, à remettre le gage et à s’assurer du parcours de l’Islam. Je
continuais à penser jusqu’au moment où j’ai décidé de revenir à la maison où
Kifah serait en train de m’attendre.
Je
revins sur mes pas, en suivant le même chemin et en marchant sur mes trace.
Après quelques pas, un autocar de l’Université destiné aux excursions, s’est
arrêté en face de moi. Il retournait d’une excursion d’études à la zone des
vestiges archéologiques. Il n’y avait dedans qu’un nombre réduit d’étudiants ne
dépassant pas les dix. Le conducteur en descendit et il se dirigea vers moi. Le
plaisir de me rencontrer l’enthousiasmait, et la belle surprise éclairait ses
yeux. Il était l’un des mes partisans sincères et l’un de mes partisans
fanatiques. Il a insisté, après l’accolade, pour m’accompagner jusqu’à chez
moi. Je me suis excusé prétextant que la marche est un hobby pour moi et un
sport que je pratique quotidiennement. Toutefois, et pour une raison que le
Très Haut a décidée, il a dépassé ce que je connaissais de lui, car jamais je
ne l’ai connu aussi insistant. Je me suis mis à réfléchir puis j’ai levé la
tête et il jeta dans mes yeux un regard plein d’espoir et il dit: Je vous prie,
docteur.
J’ai
senti que j’étais pris sur le champ et que quelque chose devait inévitablement
arriver. Je lui répondis en silence et favorablement alors que ma langue
continuait à citer le nom de Dieu le Très Haut, et que l’esprit était préoccupé
par ce qui allait arriver.
Le
véhicule se mit en route à toute vitesse pour s’arrêter quelques minutes après
sans que je sache pour quelle raison. J’étais plongé dans ma peine, éloigné du
monde par mon cas, cet état que le conducteur n’a pas deviné et qui n’a pas eu
d’effet sur lui. Il avait aperçu quelqu’un qui lui faisait signe de loin. Il
m’a demandé, avec dans ses yeux, l’espoir de me voir accepter: Monsieur le
docteur me permettra-t-il de le prendre avec nous? J’ai répondu immédiatement
avec le sourire: La bénédiction sur vous mon frère, c’est un être bien et c’est
là une des dispositions naturelles des Musulmans. C’était comme si je lui avais
fourni une poussée d’enthousiasme extrême. Il sauta à terre accueillant et
criant: C’est la deuxième bonne surprise de ma journée, bienvenu mon frère
Kifah. Dès qu’il eut prononcé le dernier mot, ce fut comme s’il avait tiré un
coup sur ma vie, ou comme s’il faisait signe aux anges de la mort dans ma
direction. Je me suis retenu et j’ai essayé de freiner mes sensations et le
rythme effréné des battements de mon cœur. J’ai pensé à la possibilité que ce
nom pouvait appartenir à quelqu’un d’autre que mon ami. J’ai fait un effort
pour changer d’attitude et pour me cacher vis-à-vis de ce qui m’entoure et qui
tourne autour de moi. J’ai jeté un regard furtif vers le bas et je l’ai aperçu.
En le voyant, ma tête s’est fendue, mes yeux ont tourné, j’ai senti un frisson
qui a failli me faire tomber de mon siège et me jeter en dehors du véhicule.
Puis je suis redevenu comme quelqu’un qui n’existe pas et qui ne sait pas où
aller.
[1] Dieu a dit: «Dieu efface ou confirme ce qu’il veut. La Mère du Livre se
trouve auprès de lui» (Le Tonnerre, 39).
[3] C’est ce que le Messager de Dieu a toujours répété dans ses prières: «…
par votre miséricorde ô mon Dieu et non par mes actions» Car le serviteur, même
s’il fait l’effort nécessaire, ne pourra jamais rendre à Dieu Ses bienfaits, et
ce qu’il doit à son égard. La faiblesse est un trait de l’homme et la
miséricorde une qualité du Miséricordieux.
[4] Cette visite n’est pas improbable ou étrange de sa part car nous nous rendons
visite souvent.
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