mercredi 31 juillet 2013

Au Bord de la Folie


          En prévision de la curiosité de ceux qui posent des questions, je me suis hâté d’adresser un salut pour signifier la fin. Je me suis alors levé, et j’ai choisi près de la rivière un point d’appui formé de branches et d’herbes pour commencer un round de réflexion tout seul[1].

          Je venais juste de plonger dans la réflexion lorsque je fus ramené au monde des gens de la terre par une voix affable. Je me suis retourné et j’ai vu Madame Dubois se dirigeant vers moi. Elle avait envoyé sa voix avant d’arriver comme un messager, comme si elle avait peur de me trouver sans me trouver. En effet, mes compagnons avaient l’habitude, depuis qu’ils me connaissent, de ne pas me trouver présent lors de mes réflexions. Et le fantôme de l’être ne peut pas le remplacer si le conscient est absent et si l’âme est partie.

          Elle dit alors: Allez-vous m’accompagner dans votre tourisme et me joindre à votre solitude, monsieur le docteur?

          J’ai caché un petit sourire avec la main, car comment vais-je me promener en touriste tout seul et avec moi quelqu’un qui m’accompagne. L’idée peut-elle venir à l’esprit que quelqu’un aille vers son but en se faisant accompagner? Je suis sorti de mon état que j’ai caché et j’ai répondu en sautant les obstacles: Venez Aurore et approchez-vous autant que vous le souhaitez. Elle fut étonnée par la surprise qui a failli l’abattre. Elle resta clouée sur place, envoyant ses regards, et elle s’est mise à chercher au beau milieu de sa perplexité une explication à mon attitude. Si nous ajoutons les mots au concept des Français au sujet des rapports entre les hommes et les femmes, elle  était en droit de penser qu’il s’agissait de sympathie et d’amour. Mais ce qui l’a rendue perplexe et qui lui a donné le vertige, c’était le fait que son interlocuteur était un musulman hanif et arabe, et que sa vérité exceptionnelle est telle qu’elle traduit les mots en des sens qui ne passent pas dans l’imagination des Occidentaux.

          Je l’ai regardée en souriant et je l’ai invitée à s’asseoir gentiment en lui indiquant un siège à côté de moi. Il semble qu’elle a obtenu ce qu’elle cherchait et qu’elle a traduit mes paroles à sa façon, dans l’espoir d’obtenir de moi ce qu’on obtient d’habitude de ses compatriotes en pareil cas. Peut-être s’est-elle réveillée de son rêve dans un autre endroit et dans des conditions autres que celles-là.

          Mais sa main était toujours tendue vers l’espoir alors qu’elle était suspendue en l’air. Je me suis adressé à elle d’une voix aimable et chaleureuse: Retirez votre main que j’ai aimée, Aurore, et je ne vous cache pas ma sympathie pour cette offre et mon amour pour vous n’était la loi. Mais je n’ai jamais touché la main d’une femme sans contrat. Et je ne lierai ma vie à aucune femme avant de mourir et de revivre[2].

            Elle dit: Je vous attendrais haletante, au bord de la folie et sur le fil d’une épée entre le désespoir et l’espoir.

          J’ai répondu sans paroles et en répétant les mots intérieurement: Attendez, je suis avec vous parmi ceux qui attendent.

          Je me suis alors levé ne trouvant pas d’autre issue, et j’ai marché avec elle. J’ai accepté que son vœu soit exaucé. Nous avons marché alternant silence et paroles, entretien et distraction, jusqu’au moment où elle m’arrêta en demandant: Trouvez-vous qu’il y a vraiment une situation raisonnable dans laquelle l’être vit la mort comme une vie, et qu’il la déguste, puis qu’il continue, ici, dans notre monde, la vivant une coupe après l’autre, et type après type?

          J’ai regardé le sol pensif, puis j’ai regardé le ciel en méditant, et j’ai répondu alors que je me voyais devant une question que je ne me suis jamais posée auparavant et que mon conscient n’a jamais abordée: Oui Aurore. Lorsque nous perdons le cher qui est au-dessus de toute personne chère chez nous, nous nous trouvons devant une solitude semblable à celle des tombes, et devant un vide effrayant qui ressemble presque aux adversités de la mort.

          Je l’ai regardée pour voir à quel point elle était convaincue, et j’ai vu les larmes couler sur ses joues comme les gouttes de la rosée au-dessus des coquelicots. Elle dit: Comme vous êtes éloquent ô Bayane al-Dine, et combien sont grands les Signes de Dieu – Loué soit-il – dans votre esprit. Elle s’arrêta en pleurant pour poursuivre d’une voix triste et avec des mots saccadés: Je ne vous est posé la question que lorsque j’ai eu peur de rester jusqu’au jour où la mort vous ravira de ma réalité et de ma vie. À ce moment-là il n’y avait inscrit dans mon esprit que la mort… puis elle poussa un soupir attristé.

          J’ai pris mon mouchoir et je me suis mis à sécher ses larmes. J’ai laissé ma main passer sur son visage et lorsqu’elle se calma et qu’elle eut cessé de se lamenter, j’ai mis ce mouchoir sur mon visage, puis je l’ai mis dans la poche de ma chemise du côté de mon cœur, et j’ai posé ma main dessus.

          Elle dit comme si elle chuchotait: Ô combien elle est noble et meurtrière la pudicité des Arabes.

          Elle s’étonna de mon changement de cap et de mon retour  et de mon retour à notre point de départ. Elle fit de même et au bout d’un court laps de temps, elle devint gaie, la peur et la tristesse l’ayant quittée.

          Elle me demanda quel était le sens de ce retour et quelle en était la sagesse déconcertante et émouvante. Je lui dis, vous êtes en plein dans le sujet et vous vivez la sagesse. Est-ce que votre ignorance de ces deux choses a modifié leur réalité? Elle se tut ne trouvant pas de réponse. J’ai poursuivi: Ainsi est la vie, nous la subissons, nous la vivons tout en ignorant sa signification, loin de la sagesse qu’elle signifie jusqu’au jour où le Miséricordieux nous envoie Son inspiration et Son Message; c’est alors que certains croient et que d’autres restent incrédules, et l’homme reste la chose la plus controversée.

            Votre allégresse, Aurore, est un signe de bonne santé par rapport à votre état antérieur et une preuve de santé qui ont suivi la peur et la tristesse qui vous ont saisie. Ceci n’a pu parvenir à votre âme qu’en reprenant la voie et les pas et en se promenant au-dessus des traces. Nous ne nous promenons pas dans le jardin des souvenirs lorsque nous promenons nos corps. Ce sont plutôt nos âmes qui jouissent comme elles l’ont fait la première fois, et le bonheur vit une autre période, et nos âmes resurgissent de nouveau avec la permission de Dieu.

          Nous avons continué à marcher jusqu’à être à une courte distance du groupe. Elle dit alors: Y-a-t-il lieu pour une autre question? Je n’ai pas répondu et elle a compris qu’il s’agissait de mon agrément.
          Elle dit: Y-a-t-il une attitude que nous devons prendre dans ce monde et qui nous indique la vie future?

          J’ai répondu méditatif: Oui, celui qui prie soumis, comprenant le sens et concentrant le conscient dessus, en soumettant son visage, son cœur et sa langue, celui-là est passé dans la vie future et il a senti des brises qu’il n’a jamais connues dans sa vie.




[1] Le Messager de Dieu a dit: «Une réflexion d’une heure est meilleure qu’une dévotion de mille ans»
[2] Il veut dire qu’il ne se mariera pas avant d’avoir accompli ses examens au sujet de la mort et ses recherches au sujet de la vie, car il y voit sa mission.

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