En prévision de la
curiosité de ceux qui posent des questions, je me suis hâté d’adresser un salut
pour signifier la fin. Je me suis alors levé, et j’ai choisi près de la rivière
un point d’appui formé de branches et d’herbes pour commencer un round de
réflexion tout seul[1].
Je
venais juste de plonger dans la réflexion lorsque je fus ramené au monde des
gens de la terre par une voix affable. Je me suis retourné et j’ai vu Madame
Dubois se dirigeant vers moi. Elle avait envoyé sa voix avant d’arriver comme
un messager, comme si elle avait peur de me trouver sans me trouver. En effet,
mes compagnons avaient l’habitude, depuis qu’ils me connaissent, de ne pas me
trouver présent lors de mes réflexions. Et le fantôme de l’être ne peut pas le
remplacer si le conscient est absent et si l’âme est partie.
Elle
dit alors: Allez-vous m’accompagner dans votre tourisme et me joindre à votre
solitude, monsieur le docteur?
J’ai
caché un petit sourire avec la main, car comment vais-je me promener en
touriste tout seul et avec moi quelqu’un qui m’accompagne. L’idée peut-elle
venir à l’esprit que quelqu’un aille vers son but en se faisant accompagner? Je
suis sorti de mon état que j’ai caché et j’ai répondu en sautant les obstacles:
Venez Aurore et approchez-vous autant que vous le souhaitez. Elle fut étonnée
par la surprise qui a failli l’abattre. Elle resta clouée sur place, envoyant
ses regards, et elle s’est mise à chercher au beau milieu de sa perplexité une
explication à mon attitude. Si nous ajoutons les mots au concept des Français
au sujet des rapports entre les hommes et les femmes, elle était en droit de penser qu’il s’agissait de
sympathie et d’amour. Mais ce qui l’a rendue perplexe et qui lui a donné le
vertige, c’était le fait que son interlocuteur était un musulman hanif et
arabe, et que sa vérité exceptionnelle est telle qu’elle traduit les mots en
des sens qui ne passent pas dans l’imagination des Occidentaux.
Je l’ai
regardée en souriant et je l’ai invitée à s’asseoir gentiment en lui indiquant
un siège à côté de moi. Il semble qu’elle a obtenu ce qu’elle cherchait et
qu’elle a traduit mes paroles à sa façon, dans l’espoir d’obtenir de moi ce
qu’on obtient d’habitude de ses compatriotes en pareil cas. Peut-être
s’est-elle réveillée de son rêve dans un autre endroit et dans des conditions
autres que celles-là.
Mais
sa main était toujours tendue vers l’espoir alors qu’elle était suspendue en
l’air. Je me suis adressé à elle d’une voix aimable et chaleureuse: Retirez
votre main que j’ai aimée, Aurore, et je ne vous cache pas ma sympathie pour
cette offre et mon amour pour vous n’était la loi. Mais je n’ai jamais touché
la main d’une femme sans contrat. Et je ne lierai ma vie à aucune femme avant
de mourir et de revivre[2].
Elle dit: Je vous
attendrais haletante, au bord de la folie et sur le fil d’une épée entre le
désespoir et l’espoir.
J’ai
répondu sans paroles et en répétant les mots intérieurement: Attendez, je suis
avec vous parmi ceux qui attendent.
Je
me suis alors levé ne trouvant pas d’autre issue, et j’ai marché avec elle.
J’ai accepté que son vœu soit exaucé. Nous avons marché alternant silence et
paroles, entretien et distraction, jusqu’au moment où elle m’arrêta en
demandant: Trouvez-vous qu’il y a vraiment une situation raisonnable dans
laquelle l’être vit la mort comme une vie, et qu’il la déguste, puis qu’il
continue, ici, dans notre monde, la vivant une coupe après l’autre, et type
après type?
J’ai
regardé le sol pensif, puis j’ai regardé le ciel en méditant, et j’ai répondu
alors que je me voyais devant une question que je ne me suis jamais posée
auparavant et que mon conscient n’a jamais abordée: Oui Aurore. Lorsque nous
perdons le cher qui est au-dessus de toute personne chère chez nous, nous nous
trouvons devant une solitude semblable à celle des tombes, et devant un vide
effrayant qui ressemble presque aux adversités de la mort.
Je
l’ai regardée pour voir à quel point elle était convaincue, et j’ai vu les
larmes couler sur ses joues comme les gouttes de la rosée au-dessus des
coquelicots. Elle dit: Comme vous êtes éloquent ô Bayane al-Dine, et combien
sont grands les Signes de Dieu – Loué soit-il – dans votre esprit. Elle
s’arrêta en pleurant pour poursuivre d’une voix triste et avec des mots
saccadés: Je ne vous est posé la question que lorsque j’ai eu peur de rester
jusqu’au jour où la mort vous ravira de ma réalité et de ma vie. À ce moment-là
il n’y avait inscrit dans mon esprit que la mort… puis elle poussa un soupir
attristé.
J’ai
pris mon mouchoir et je me suis mis à sécher ses larmes. J’ai laissé ma main
passer sur son visage et lorsqu’elle se calma et qu’elle eut cessé de se
lamenter, j’ai mis ce mouchoir sur mon visage, puis je l’ai mis dans la poche
de ma chemise du côté de mon cœur, et j’ai posé ma main dessus.
Elle
dit comme si elle chuchotait: Ô combien elle est noble et meurtrière la
pudicité des Arabes.
Elle
s’étonna de mon changement de cap et de mon retour et de mon retour à notre point de départ.
Elle fit de même et au bout d’un court laps de temps, elle devint gaie, la peur
et la tristesse l’ayant quittée.
Elle
me demanda quel était le sens de ce retour et quelle en était la sagesse
déconcertante et émouvante. Je lui dis, vous êtes en plein dans le sujet et
vous vivez la sagesse. Est-ce que votre ignorance de ces deux choses a modifié
leur réalité? Elle se tut ne trouvant pas de réponse. J’ai poursuivi: Ainsi est
la vie, nous la subissons, nous la vivons tout en ignorant sa signification,
loin de la sagesse qu’elle signifie jusqu’au jour où le Miséricordieux nous
envoie Son inspiration et Son Message; c’est alors que certains croient et que
d’autres restent incrédules, et l’homme reste la chose la plus controversée.
Votre allégresse,
Aurore, est un signe de bonne santé par rapport à votre état antérieur et une
preuve de santé qui ont suivi la peur et la tristesse qui vous ont saisie. Ceci
n’a pu parvenir à votre âme qu’en reprenant la voie et les pas et en se
promenant au-dessus des traces. Nous ne nous promenons pas dans le jardin des
souvenirs lorsque nous promenons nos corps. Ce sont plutôt nos âmes qui
jouissent comme elles l’ont fait la première fois, et le bonheur vit une autre
période, et nos âmes resurgissent de nouveau avec la permission de Dieu.
Nous
avons continué à marcher jusqu’à être à une courte distance du groupe. Elle dit
alors: Y-a-t-il lieu pour une autre question? Je n’ai pas répondu et elle a
compris qu’il s’agissait de mon agrément.
Elle
dit: Y-a-t-il une attitude que nous devons prendre dans ce monde et qui nous
indique la vie future?
J’ai
répondu méditatif: Oui, celui qui prie soumis, comprenant le sens et
concentrant le conscient dessus, en soumettant son visage, son cœur et sa
langue, celui-là est passé dans la vie future et il a senti des brises qu’il
n’a jamais connues dans sa vie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire