mercredi 31 juillet 2013

Rencontre avec le Destin


          J’ai dit oui pour me retrouver entre les bras de Kifah, alors que le pauvre conducteur s’affairait à me soigner et à sécher mon front. J’ai appris que je portais mon destin et que je supportais ma destinée, et que ma fuite n’avait aucun effet sur mon cas ou aucune modification de mon lot. J’ai promené mon regard sur eux en remerciant, puis je me suis mis à répéter ce que j’avais commencé dans les tréfonds de mon cœur. Il n’y a de force et de puissance qu’en Dieu, le Très Haut, le Suprême. J’ai retrouvé un peu de mes forces et j’ai pensé que le Miséricordieux a décidé de charger quelqu’un d’autre de la chose[1], qu’il a délégué un autre que moi, et j’ai pensé que j’allais bientôt le rencontrer et jouir de son voisinage.

          Une euphorie traversa mon âme et elle me sortit de mon engourdissement. J’ai donné l’accolade à Kifah et aux autres successivement, j’ai exprimé mes vœux pour eux et je suis allé libre et frais, et prédicateur.

Après un certain moment de distraction en ce qui concerne les distances séparant les régions et les quartiers, je me suis rendu compte que notre orientation était autre que les maisons. J’ai regardé le conducteur d’un air interrogateur et il dit: Laissez-nous jouir de votre compagnie et profiter de ce que Dieu le Très Haut vous a donné, vénérable docteur. Nous avons une occasion qui pourrait ne pas se répéter. Je vous prie de m’excuser si j’ai voulu contrevenir à la destination et changer de route. Je n’ai pas répondu, me contentant d’un sourire dans l’espoir qu’il l’interprétât comme agrément et approbation. Ceci parut clair du fait qu’il a accéléré. Les soucis commencèrent à traverser mon esprit et mon être. Ils furent interrompus par la voix découpée et chuchotante de Kifah: Puisses-tu savoir, ô Bayane al-Dine que mon parcours était vers toi lorsque Dieu le Très Haut m’a donné l’occasion de te rencontrer, ainsi qu’Il l’a décidé.

Il se tut un instant puis il ajouta: Un rêve a dérangé mon sommeil et m’a étourdi. J’espère trouver chez toi une lumière qui me guide vers ce qui me tranquillise et me rend mon équilibre.

J’ai dit tranquille: Voyons ce que tu as, au nom de Dieu. Il dit: J’ai un rêve, il y a trois jour, où mon père, paix à son âme, m’appelait et m’invitait à venir, que je ne devais pas avoir peur car je suis, parmi les gens surs. Je lui ai demandé ce que cela signifiait et il m’a dit que j’allais bientôt le rejoindre dans son monde et qu’il m’attendait chaleureusement. Il s’est alors approché de moi jusqu’à s’intégrer à moi et il a mis sa main sur ma tête en disant: C’est de là que tu seras conduit vers nous et c’est là que ta mort aura lieu. Il s’agira d’un coup sur la tête et ta douleur prendra fin. C’est alors que ton bonheur commencera et tu sauras que c’est la promesse de ton Dieu. Si ta mort arrive sans que tu aies un testament, informe ton ami au sujet de ce qui t’intéresse et charges le de ce qui t’importes dans ton monde car c’est la personne la plus indiquée pour te succéder.

Dès que Kifah eut fini de raconter son rêve, mon cœur a été envahi par un souhait profond de voir la mort être mon lot. J’ai alors vogué sans conscience, voltigeant au loin, les larmes coulant de mes yeux. Je lui répondis la gorge serrée de tristesse et de regret: Je suis, par Dieu, ton ami et mon sang est prêt à être versé pour toi, ô Kifah.

Je lui ai donné l’accolade lorsque le bruit d’une collision me bombarda les oreilles sans que j’en connaisse la suite ou l’origine. Je me suis vu en train de m’élever dans l’air, voltigeant dans le ciel pour tomber ensuite et pour heurter la terre. La gravité de l’accident nous a jetés, moi et mon ami, en dehors du véhicule et le décret de Dieu nous a sortis de ses vitres avant. Nous nous sommes élevés ensemble et nous sommes retombés ensemble.

J’ai senti en me heurtant moi-même que mon âme se séparait de mon âme et que mon être délaissait mon être; que j’étais capable de voir les détails, de les ordonner et d’en traduire les signes. Je me suis même vu étendu avec une grave blessure à la tête qui colorait de rouge les parties de mon corps, tandis que le conducteur rampait difficilement dans ma direction, avec des blessures au torse et aux pieds, les étudiants se partageant entre rescapés et quasi rescapés; la foule des gens grandissait, leurs rassemblements se gonflaient. J’ai regardé autour de moi tout abasourdi et je me suis retrouvé dans l’état où j’étais auparavant, avec les sensations dont je me suis séparé, comme s’il ne s’était agi que d’un intermède entre ce que je suis devenu et ce que j’étais. J’ai fixé le visage de Kifah qui s’était rapproché du mien, et j’ai trouvé qu’il était le voyageur sans moi, que ce qu’il prévoyait s’accordait avec la réalité et qu’il a retiré ses positions du monde d’ici-bas. Toutefois, je n’ai pas vu son âme. J’ai alors compris le signe et j’ai compris que j’étais proche de la mort et qu’il n’y avait, entre lui et moi, qu’à voir l’âme de mon ami. J’étais pris par un état qui n’a de lien ni avec la mort ni avec la vie. J’ai pressenti qu’il s’agissait d’un autre coma, et que j’allais en être libéré si Dieu veut que cette prémonition se concrétise.




[1] C.à.d. la mission, l’invitation des gens à la vérité, à la droiture à l’égard de Dieu le Majestueux, le rappel de la mort et ce qu’elle porte comme sens de la vie, dans l’espoir qu’ils se repentiront.

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