La Soucoupe Agile
Aux premières heures du jour prévu, je hâtais le pas vers l’endroit qui était désert de
tout sauf de la peur, plat sauf les figuiers de Barbarie, et qui était devenu
plein d’espoirs et de rêves. Je suis allé sur une petite dune, attendant
l’heure de l’arrivée de Ronca Cham. Je suis resté ainsi un certain temps qui
m’a paru beaucoup plus long et, lorsque la fatigue était sur le point de m’acculer
au désespoir, j’ai vu une soucoupe couleur de vin et un disque imposant,
brillant comme les lustres du ciel, qui est venu se poser à côté de moi. Je me
suis dirigé vers lui précédé par mon envie et ma passion. Mon Dieu comme sa
rencontre était belle et beaux ses yeux. La belle fille de Cham est apparue à
la porte de l’engin, brillante et superbe. Elle a couru vers moi en criant et
en répétant mon nom ; et j’ai couru vers elles. Nous nous sommes
rencontrés à la frontière que le Très Haut a interdit aux croyants de dépasser. Chacun de nous a alors
voyagé dans les yeux de l’autre. Elle s’est mise à genoux entourant mon genou
avec une envie sans borne. J’ai pensé que le royaume de la terre était entre me
mains, car je vivais des moments que toute la vie ne peut égaliser, et des
secondes que je n’échangerais jamais contre une couronne ou un poste élevé.
Je l’ai prise par les épaules, essayant de la rapprocher de moi, alors
que ma volonté et ma patience m’ont soudain trahi, et mes larmes ont coulé
après avoir été si longtemps retenues.
Ronca Cham a eu peur en me voyant pleurer. Ma tristesse lui a fait de
la peine. Elle a pris ma tête entre ses mains vers son épaule, et elle a
dit : « Malheur à ma mère et à mon père, que t’est-il arrivé, mon
frère Arkâne Eddine ». Je me suis abstenu de répondre. Elle a insisté, et
j’ai dit : « Je n’ai plus de parents sauf un pauvre oncle que le
despotisme pousse à quitter l’Iraq, et une occasion s’est présentée à lui
en Floride, aux Etats-Unis ». Elle a dit : « Pourquoi, mais
alors, ne va-t-il pas dans un autre pays arabe ou un pays musulman, alors
que ceux-ci sont nombreux et les gens y sont aisés ». J’ai dit :
« L’Iraq avec la tyrannie de Saddam est mieux que ces pays-là. Ici, nous
crions et nous souffrons, nous nous plaignons et nous nous affrontons. Les
Arabes des autres pays ont perdu toute sensation. Ils ne crient pas. Leur peau
s’est endurcie, ils ne souffrent plus. Ils se sont habitués aux défaites ;
ils ont choisi la faiblesse. Ils ont remplacé le Jihad par la soumission qu’ils
ont cru être l’Islam. C’est ainsi que sont les Arabes, et comme eux sont les
Musulmans qui suivent la même voie… Je voulais aller plus loin, je fus saisi
d’un vertige semblable à un courant auquel j’ai essayé de résister sans succès.
Je suis tombé à terre les yeux fermés. En les ouvrant, j’ai vu Ronca au-dessus
de ma tête. J’ai cru la voir pour la première fois, et je me suis levé tout
droit en lui demandant où j’étais et quand je suis venu. Elle ne savait quoi
dire. Un profond silence régna un moment après quoi j’ai compris que j’avais
perdu connaissance. Je l’ai regardée avec chaleur et tendresse et je lui ai
dit : « Excuses-moi, ma sœur Ronca d’avoir trempé notre rencontre
avec des plaintes ».
Elle a répondu,
ses larmes coulant sur son visage : « Il y a dans ton for intérieur
une fierté mohamédane arabe, et j’ai bien peur qu’elle ne se manifeste avant son
heure, et tant que je suis en vie, tu ne vas pas traverser les jours et les
horreurs tout seul.
J’ai fermé les
yeux devant la majesté de son attitude. Je me suis mis à lui souhaiter tout le
bien en secret et à remercier Dieu, le Dieu des mondes.
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