Les
Objectifs Déçus
Ce qui m’a le plus surpris après ce que j’ai rencontré, c’était mon
impuissance à l’expliquer et mon incapacité à repousser les accusations et la
mauvaise foi des gens si jamais je venais à en parler.
Toutefois – et Dieu merci – j’étais en harmonie avec moi-même, allié à
mon esprit et à ma conviction, et ceci a renforcé ma conviction qui Ronca Cham
allait tenir sa promesse et que cela ne laissait pas l’ombre d’un doute.
Les jours et les heures se sont écoulés calmement et paresseusement à
la façon des menteurs qui se dirigent vers la prière aussitôt que la voix du
muezzin retentit. J’ai fini par prendre l’habitude de toujours demander l’heure
et le mois.
À l’aube d’un jour sombre, j’ai reçu à l’endroit de ma retraite
habituelle, derrière les taudis et les ruines, la visite de mon oncle qui
violait ma solitude et mes réflexions. Je l’ai regardé comme si je revenais de
loin, et je l’ai trouvé le visage souriant, tenant à la main une lettre qu’il m’a donnée en criant : « Loué
soit Dieu, enfin, une chose qui va te faire plaisir, Arkâne. Il ne m’a même pas
laissé le temps de la lire, car il avait tout dit en toute vitesse. J’ai gardé
le silence et j’ai fait semblant de la lire. Et lorsque sa voix eut cessé de se
faire entendre, j’ai compris qu’il s’agissait de l’accord de son ami en
Floride, aux Etats-Unis d’Amérique.
Mon oncle a toussoté de fierté et il m’a demandé : « Que
penses-tu de cette faveur que Dieu nous a accordée en ce jour béni, ô Daoud1 du Najaf ?
Je l’ai regardé en essayant de sourire, mais en vain. Je l’ai fixé
essayant de partager sa joie, ne serait-ce qu’artificiellement, mais en vain.
J’avais en effet peur de rater le rendez-vous de Ronca Cham plus que tout
l’Iraq, et j’avais oublié tout le reste. Mon oncle s’est aperçu que sa bonne
nouvelle n’a pas eu l’effet qu’il escomptait, et il passa de la joie à la déception.
C’était comme s’il venait de tomber d’un endroit élevé. Il sentit une grande
fatigue et une perplexité mortelle. Il me regarda et il dit avec tristesse :
« Tu as été, Arkâne, et tu es toujours – depuis que ton père – Dieu ait
son âme – a quitté ce monde, mon principal souci. A Najaf et dans le Sud, je
n’ai peur ni de l’oppression ni de l’injustice. C’est là une politique à
laquelle nous ont habitués les gouvernants arabes et les suppôts des
Américains. Ce qui me fait peur, c’est ta détermination, ta fierté et les
risques que tu prends. Je finis par croire qu’il ne reste plus de ta vie avec
nous que le jour où tu rencontreras les oppresseurs ou qu’ils te rencontreront.
Je me suis mis à lui donner l’accolade et à le calmer, puis nous nous sommes assis
pour parler de nos rêves. Il planifiait son départ et je faisais semblant de
l’écouter pour ne pas le déranger. J’ai décidé alors de le traiter par la ruse
dans l’espoir de le tranquilliser, et n’était l’espace occupé dans mon esprit
par le Rappel de Dieu, le rendez-vous avec Ronca aurait tout dominé. Face à la
misère et aux malheurs, je ne voyais aucune issue, et mon cœur plein de soucis,
refusait l’idée de quitter un démon agent pour aller chez un démon original.
Les ombres de démons originaux restent, en dépit des efforts faits par la ruse
pour leur donner un aspect acceptable, des démons aux aspects dérisoires et aux
conséquences périlleuses. Les âmes purifiées par la guidance de Dieu, remplies
de la lumière de son inspiration, ne voient guère du bien dans l’empire des
désirs et l’ennemi de la terre et du ciel – les Etats-Unis – d’où le bien
peut-il venir, alors que ce pays instaure la débauche et cherche à semer le mal
partout. C’est une nation qui voit dans l’Islam, le terrorisme ; dans le
Livre un mirage ; dans l’incrédulité un message ; que lutter contre l’incrédulité est de
l’ignorance ; que le libertinage est du modernisme ; que l’agression
est une politique ; que l’industrie du mal est du progrès ; que la
diffusion de la corruption est une générosité. Une nation qui n’appuie jamais
le droit et qui ne rejette pas le mal.
Se préparer à émigrer vers un pays ayant une telle doctrine est chose
exécrable. La mort même n’est pas aussi exécrable pour mon cœur. Comment mais
alors vais-je accepter une chose devant laquelle la mort est plus acceptable
selon mes convictions. Qu’ai-je à faire avec les Arabes qui ont préféré
l’égarement et la faiblesse, qui ont délaissé le Coran, qui ont remplacé la foi
par l’impiété.
« Ils ne t’interdisaient pas mutuellement les actions blâmables
qu’ils commettaient. Que leurs actions étaient donc exécrables. Tu verras un
grand nombre d’entre eux s’allier avec les impies. Le mal qu’ils ont commis est
si pernicieux, que Dieu se courrouce contre
eux ; ils demeureront immortels dans le châtiment. S’ils avaient cru en
Dieu, au Prophète et à ce qui a été révélé à celui-ci, ils n’auraient pas pris
pour amis les incrédules. Beaucoup d’entre eux sont pervers » [La
Table Servie, 79-81].
Ma haine de l’Amérique et tout ce qui la concerne était suffisante pour
m’interdire d’y aller. Que serait-ce alors si l’on ajoute à cela mon envie de
revoir Ronca Cham.
Les appels de la haine et de l’amour1
me tiraillaient et occupaient, chacun à son tour, mes pensées ainsi que mes
moments de sommeil et de réveil. J’ai continué à repousser les désirs de mon
oncle de rapprocher le jour du départ. Je luttais contre ses arguments et ses
prétextes, en toute gentillesse jusqu’au moment où je me suis trouvé à deux
jours ou presque du rendez-vous.
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