samedi 3 août 2013

Les Objectifs Déçus

Les Objectifs Déçus

Ce qui m’a le plus surpris après ce que j’ai rencontré, c’était mon impuissance à l’expliquer et mon incapacité à repousser les accusations et la mauvaise foi des gens si jamais je venais à en parler.

Toutefois – et Dieu merci – j’étais en harmonie avec moi-même, allié à mon esprit et à ma conviction, et ceci a renforcé ma conviction qui Ronca Cham allait tenir sa promesse et que cela ne laissait pas l’ombre d’un doute.

Les jours et les heures se sont écoulés calmement et paresseusement à la façon des menteurs qui se dirigent vers la prière aussitôt que la voix du muezzin retentit. J’ai fini par prendre l’habitude de toujours demander l’heure et le mois.

À l’aube d’un jour sombre, j’ai reçu à l’endroit de ma retraite habituelle, derrière les taudis et les ruines, la visite de mon oncle qui violait ma solitude et mes réflexions. Je l’ai regardé comme si je revenais de loin, et je l’ai trouvé le visage souriant, tenant à la main une lettre  qu’il m’a donnée en criant : « Loué soit Dieu, enfin, une chose qui va te faire plaisir, Arkâne. Il ne m’a même pas laissé le temps de la lire, car il avait tout dit en toute vitesse. J’ai gardé le silence et j’ai fait semblant de la lire. Et lorsque sa voix eut cessé de se faire entendre, j’ai compris qu’il s’agissait de l’accord de son ami en Floride, aux Etats-Unis d’Amérique.

Mon oncle a toussoté de fierté et il m’a demandé : « Que penses-tu de cette faveur que Dieu nous a accordée en ce jour béni, ô Daoud1 du Najaf ?

Je l’ai regardé en essayant de sourire, mais en vain. Je l’ai fixé essayant de partager sa joie, ne serait-ce qu’artificiellement, mais en vain. J’avais en effet peur de rater le rendez-vous de Ronca Cham plus que tout l’Iraq, et j’avais oublié tout le reste. Mon oncle s’est aperçu que sa bonne nouvelle n’a pas eu l’effet qu’il escomptait, et il passa de la joie à la déception. C’était comme s’il venait de tomber d’un endroit élevé. Il sentit une grande fatigue et une perplexité mortelle. Il me regarda et il dit avec tristesse : « Tu as été, Arkâne, et tu es toujours – depuis que ton père – Dieu ait son âme – a quitté ce monde, mon principal souci. A Najaf et dans le Sud, je n’ai peur ni de l’oppression ni de l’injustice. C’est là une politique à laquelle nous ont habitués les gouvernants arabes et les suppôts des Américains. Ce qui me fait peur, c’est ta détermination, ta fierté et les risques que tu prends. Je finis par croire qu’il ne reste plus de ta vie avec nous que le jour où tu rencontreras les oppresseurs ou qu’ils te rencontreront. Je me suis mis à lui donner l’accolade et à le calmer, puis nous nous sommes assis pour parler de nos rêves. Il planifiait son départ et je faisais semblant de l’écouter pour ne pas le déranger. J’ai décidé alors de le traiter par la ruse dans l’espoir de le tranquilliser, et n’était l’espace occupé dans mon esprit par le Rappel de Dieu, le rendez-vous avec Ronca aurait tout dominé. Face à la misère et aux malheurs, je ne voyais aucune issue, et mon cœur plein de soucis, refusait l’idée de quitter un démon agent pour aller chez un démon original. Les ombres de démons originaux restent, en dépit des efforts faits par la ruse pour leur donner un aspect acceptable, des démons aux aspects dérisoires et aux conséquences périlleuses. Les âmes purifiées par la guidance de Dieu, remplies de la lumière de son inspiration, ne voient guère du bien dans l’empire des désirs et l’ennemi de la terre et du ciel – les Etats-Unis – d’où le bien peut-il venir, alors que ce pays instaure la débauche et cherche à semer le mal partout. C’est une nation qui voit dans l’Islam, le terrorisme ; dans le Livre un mirage ; dans l’incrédulité un message ;  que lutter contre l’incrédulité est de l’ignorance ; que le libertinage est du modernisme ; que l’agression est une politique ; que l’industrie du mal est du progrès ; que la diffusion de la corruption est une générosité. Une nation qui n’appuie jamais le droit et qui ne rejette pas le mal.

Se préparer à émigrer vers un pays ayant une telle doctrine est chose exécrable. La mort même n’est pas aussi exécrable pour mon cœur. Comment mais alors vais-je accepter une chose devant laquelle la mort est plus acceptable selon mes convictions. Qu’ai-je à faire avec les Arabes qui ont préféré l’égarement et la faiblesse, qui ont délaissé le Coran, qui ont remplacé la foi par l’impiété.

« Ils ne t’interdisaient pas mutuellement les actions blâmables qu’ils commettaient. Que leurs actions étaient donc exécrables. Tu verras un grand nombre d’entre eux s’allier avec les impies. Le mal qu’ils ont commis est si pernicieux, que Dieu se courrouce contre eux ; ils demeureront immortels dans le châtiment. S’ils avaient cru en Dieu, au Prophète et à ce qui a été révélé à celui-ci, ils n’auraient pas pris pour amis les incrédules. Beaucoup d’entre eux sont pervers » [La Table Servie, 79-81].

Ma haine de l’Amérique et tout ce qui la concerne était suffisante pour m’interdire d’y aller. Que serait-ce alors si l’on ajoute à cela mon envie de revoir Ronca Cham.

Les appels de la haine et de l’amour1 me tiraillaient et occupaient, chacun à son tour, mes pensées ainsi que mes moments de sommeil et de réveil. J’ai continué à repousser les désirs de mon oncle de rapprocher le jour du départ. Je luttais contre ses arguments et ses prétextes, en toute gentillesse jusqu’au moment où je me suis trouvé à deux jours ou presque du rendez-vous.



1 C’était-là le sobriquet par lequel j’étais connu parmi mes cousins et mes copains.
1 La haine du projet de partir en Amérique auquel mon oncle m’oblige et l’amour de revoir Ronca Cham.

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